Wednesday 20 November 2013

Parkour et entrainement


J’essaie de mettre régulièrement mes idées concernant le parkour à l’écrit. Pour me les clarifier, pour les fixer dans ma mémoire, pour me permettre d’en construire d’autres sur une base tangible, pour les partager. Malgré cela, elles restent la plupart du temps à l’état d’ébauches qui s’accumulent. Un jour, je vais bien finir par les ressortir en un ensemble cohérent mais en attendant, cet article ne sera pas bien différent des autres ébauches : je me suis simplement donné la peine de le taper à l’ordinateur. C’est pourquoi je ne prends pas la position de quelqu’un qui prêche un message murement réfléchi, mais plutôt celle de quelqu’un qui communique ses idées parcellées afin que les autres les complètent ou les critiquent. J’espère néanmoins que ces idées seront utiles à quelqu’un d’autre qu’à moi-même, et avec un peu de chance éveilleront-elles autant de réflexions que mon premier article l'a fait. J'ouvre la discussion, à vous de participer à l'effort de guerre !

Cet article aura pour but d’émettre mes quelques idées récentes et moins récentes sur l’entrainement dans le parkour, et les raisons pour lesquelles, selon moi, il diffère de celui appliqué pour un sport quelconque. Je ne tiens pas à montrer en quoi le parkour serait un sport différent des autres : en effet  je pars du constat que le parkour n’est tout simplement pas un sport. Son fonctionnement, ses principes fondamentaux en diffèrent tellement que l’application du mot sport me semble ne pouvoir être autre chose qu’un abus de langage.

Pour une argumentation un peu différente de la mienne, avec une comparaison à des définitions du sport plus diversifiées, je vous invite à lire l’article de Naïm L’1consolable "Parkour-parks ou parkour: il faut choisir".[1] Les points avancés par Naïm sont, grossièrement, que le parkour présente une absence de codification compétitive, de règles et d’institutionnalisation, qui sont nécessaires pour avoir un discipline pouvant être qualifiée de "sport". Il définit alors le parkour comme étant un art. Je ne suis pas en désaccord, et sa redéfinition complète la mienne, simplement le chemin qui a mené ma réflexion n’a pas été exactement le même, c’est pourquoi je me permets d’exposer mon point de vue sans reprendre en détail les réflexions que Naïm a déjà faite sur le même sujet.

Commençons par prendre une définition du sport :
Sport: "Activité physique exercée dans le sens du jeu, de la lutte et de l’effort, dont la pratique suppose un entrainement méthodique, le respect de certaines règles et disciplines."[2]

Le parkour corresponds bien à la première partie de cette définition : il est clair que c’est une activité physique (même si elle est sous-tendue par une activité créative, intellectuelle, comme le mentionne Naïm), et l’on peut bien retrouver l’idée de lutte et d’effort, d’abord contre soi-même (ce qui n’est pas le cas de tous les traceurs, certains ne tenant pas à absolument repousser leurs limites ou à faire un effort désagréable) mais de manière plus générale contre un obstacle (que cet obstacle soit un mur, ou soi-même, on conviendra que l’affrontement à l’obstacle est un aspect fondateur du parkour).
Difficile à dire si le terme de jeu peut être appliqué au parkour, la définition même du mot jeu pouvant varier. On peut néanmoins estimer que oui, puisqu’il est exercé de manière ludique (en tout cas, je l’espère pour vous), et que sa pratique est détachée de la vie quotidienne (dans le sens où il est "accessoire"), n’a pas de fin utilitaire directe (on peut peut-être le considérer comme une préparation à l’utilitaire). Il est vrai que certains peuvent estimer que ce que l’on appelle parkour, le vrai parkour, est seulement son application en situation réelle, ce qui ne relèverait en aucun cas du jeu. Mais avec une telle définition, je pense pouvoir dire qu’aucun traceur ou presque ne fait du parkour (pour des raisons notamment expliquées dans mon premier article[3])… et puis il ne viendrait à personne l’idée de dire que la fuite devant un adversaire, l’escalade en cas d’incendie ou le franchissement d’une barrière pour prendre un raccourci sont des sports.

Mais c’est bien là où je veux en venir : l’entrainement au parkour, ce n’est rien d’autre que le parkour lui-même. Et c’est là où la distinction par rapport au sport est fondamentale. Le parkour est peut-être un art plus qu’un sport, soit. Mais ce qui est certain, c’est qu’il est une méthode d’entrainement avant tout ! Le parkour, c’est bien franchir des obstacles dans le but de se renforcer. Retirer ceci à la discipline, c’est la dénaturer complètement : on obtiendra alors quelque chose qui ressemble à du saut en longueur en milieu urbain (le terme d’urban long jump mériterait presque de définir une nouvelle discipline), ce qui ressort d’ailleurs déjà dans beaucoup de vidéos, le saut de précision ayant pris une importance énorme dans la pratique[4]. J’aime appeler ça le parkour à l’américaine, même si le terme n’est pas nécessairement bien choisi et un peu caricatural, mais tout de même, cet ensemble d’entrainement pratiqué dans un environnement contrôlé (parkour-parks, parkour gyms, powerlifting…), fait de manière très efficace, en termes de gain de performance objective (distance/temps), cette recherche du saut toujours plus long, toujours plus haut, jusqu’à en oublier le sens, a quelque chose du stéréotype américain. L’entrainement dans cet environnement contrôlé se distingue de la performance elle-même, qui elle se fait en extérieur, en conditions réelles. On a alors la transposition, l’application de ces performances entrainées dans un environnement contrôlé, aseptisé, sur un milieu naturel/urbain. Cette transposition se remarque fortement dans la vidéo "Low Gravity In Quebec City"]5] de VinceK7, par exemple.

Ne vous méprenez pas sur mon intention : rien n’empêche que cela soit beau, impressionnant. Rien non plus n’empêche que ces gens sachent très bien ce qu’ils font, et que ce soit une méthode efficace, bien au contraire ! Néanmoins, non seulement ceci n’est à mon sens pas du parkour (ou alors, seulement la partie "moyen de locomotion du parkour"[6], ce qui ne représente pas la discipline dans sa complétude), mais de plus, cette méthode pose divers problèmes qui, malgré son efficacité, font que je ne l'utilise pas (ou peu), et ne la conseille pas (ou pas à n’importe qui).
Tout d’abord, elle ne se passe pas en extérieur. Je pense que ceux qui s’entrainent toujours en intérieur manquent quelque chose. C’est évidemment subjectif, mais pour moi, on se sent mieux, plus libre, en extérieur. Même lors de pluie et de neige, s’entrainer peut tout à fait être un plaisir, pour peu que l’on s’adapte et que l’on s’habille en convenance. Mais plus que le plaisir, le parkour nécessite cet entrainement en condition réelles. Être capable de se déplacer avec des conditions météorologiques défavorables est capital, et cela d’autant plus que connaitre ses limites (et les limites imposées par l’environnement, obstacles glissants, perte de sensation dans les doigts…) est essentiel afin d’éviter certains risques (dont le plus grand est de glisser), et donc de pouvoir se déplacer en adéquation avec l’environnement et nos capacités (c’est-à-dire, ne pas dépasser nos limites afin d’éviter des accidents, mais également pouvoir se rapprocher le plus possible de ces limites, ce qui exige de les connaitre en toute situation). De la même manière, être confronté à l’infinie diversité d’obstacles extérieurs permet cette même adaptation, ce que l’entrainement dans un espace fait sur mesure ne permet que de façon très limitée.

De plus, l’entrainement en milieu contrôlé va forcer des situations qui n’existent pas ou se retrouvent très rarement en extérieur (p.ex. omniprésence de barres hautes dans les parkour-parks[7], et dans les vidéos qui y sont filmées, alors qu’elles sont assez rares en environnement naturel ou se présentent sous des formes très éloignées, comme des branches d’arbres). Par un jeu de miroir, les parks vont être fabriqués en fonction des mouvements les plus pratiqués, appréciés, impressionnants, et l’entrainement dans ces parks va populariser ces mêmes mouvements. On entre alors dans un cercle vicieux, et en cela, la discipline va se détacher de plus en plus du milieu naturel/urbain à mesure que les pratiquants ne trouveront plus leur compte dans la nature en essayant d’imposer leur set de mouvements sur l’environnement au lieu de se laisser guider par lui en s’y adaptant (le fameux "si seulement il y avait tel objet qui me permettrait de faire tel mouvement", dont je ne suis pas innocent).

Au-delà de ça, rien n’empêche de s’entrainer en partie dans un environnement contrôlé, et en partie dans un milieu naturel. Faire du renforcement physique, avec poids du corps ou non, en usant de mouvements de parkour ou non, a toujours fait partie de l’activité physique des traceurs, ne serait-ce qu’en cas de blessure ou de météo vraiment peu propice.
Par contre, il me semble que ces méthodes sont plus intrusives que le parkour au sens de méthode d’entrainement. Cela simplement par ce que soulever une charge apporte souvent moins de plaisir que le fait de se déplacer librement, de jouer avec son environnement. D’ailleurs, pour la plupart, s’astreindre à ce genre d’exercice est pénible. Soit par une souffrance directe liée à l’effort, soit tout simplement par manque de motivation intrinsèque. La seule motivation provient alors du but à atteindre : objectif en termes de distance et de temps, esthétique, hygiène, bonne conscience… mais quel en est réellement l’intérêt ? Qui dit qu’il y aura plaisir au bout de la ligne ? N’est-ce pas se plonger dans une ascèse en rejetant le présent pour un avenir idéalisé ? De même, rien ne montre qu’atteindre un objectif procurera du plaisir. L’important c’est le chemin, pas la destination. Le plaisir vient du changement, de la progression, pas du fait de s’arrêter après avoir atteint un objectif. Souffrir pour atteindre un objectif, qui ne va mener qu’à se fixer un objectif suivant, demandant lui-même de la souffrance me semble contre-productif.

Et même au niveau utilitaire, à quoi sert finalement de pouvoir sauter un demi-pied de plus ou de moins ? Les mouvements du parkour qui se situent à l’extrême de notre capacité ne seront probablement jamais utilisés en situation réelle, au contraire des aptitudes plus "simples", telles que la capacité à absorber un choc, ou à passer une barrière sans encombre. De plus, notre temps ici est limité, et, bien que l’on puisse en retarder l’échéance, nos performances vont nécessairement atteindre un pic puis progressivement décliner. Et à nouveau, ce sont les performances qui sont à nos limites physiques qui devront être les premières à devoir être abandonnées pour éviter des blessures.
Donc, selon moi, la motivation doit être intrinsèque, autant que possible. Cela permet non seulement d’y prendre du plaisir, mais également de maximiser les changes d’atteindre son but, d’arriver à une fin, sans abandonner en cours de route. Même sans une méthode excellente, un grand degré de maitrise peut être atteint dans une tâche lorsqu’elle est pratiquée quotidiennement, et cela, sans aller aux dépens du plaisir.

Finalement, un élément qui fait le succès et l’intérêt du parkour, est son accessibilité. Il ne requiert pas une forme physique surhumaine si on ne s’impose pas d’objectif compétitif. Il ne demande pas de matériel autre qu’une paire de chaussures (et encore, on peut tout à fait pratiquer sans). Il ne nécessite aucune infrastructure autre que l’environnement préexistant. S’entraîner en environnement contrôlé, c’est également s’en rendre en partie dépendant, ne plus pouvoir (ou savoir) s’entrainer (ou s’amuser) n’importe quand, n’importe où. Donc non seulement restreindre les occasions de prendre du plaisir à bouger, mais dans le même temps restreindre celles où l’on peut progresser. A titre d’exemple personnel, je n’aurais en aucun cas atteint le degré de maitrise (relatif) que j’ai en pièces droites si je n’y trouvais pas une motivation intrinsèque et si leur pratique avait requis une infrastructure particulière.
Mon but n’est pas de faire abandonner une méthode qui vous convient, bien au contraire. J’invite simplement à la réflexion, et à chercher une activité qui offre une motivation intrinsèque, où le plaisir peut être direct. Pas seulement dans le parkour, mais en général. Pour ceux qui ne font pas de parkour, trouvez une activité physique qui vous fasse plaisir, trouvez une passion qui vous fera bouger sans vous soucier d’une finalité extrinsèque ou de ses conséquences. Et cela est valable bien au-delà de la discipline sportive. Peser le pour et le contre : vaut-il mieux de souffrir pour un objectif qui ne sera pas nécessairement atteint et même alors n’apportera pas nécessairement le plaisir auquel on pouvait s’attendre ? Ou choisir une autre voie où il peut y avoir plaisir que l’objectif soit atteint ou non ? Sans entrer dans une logique d’hédonisme forcené, repousser le plaisir dans un arrière monde qui recule constamment n’a pas de sens. Et puis, la fin ne justifie les moyens que si il n’y a pas de meilleur moyen. Autant utiliser directement les meilleures moyens, non ?

Pratiquants du parkour, posez-vous la question suivante : prenez-vous plus de plaisir maintenant que lorsque votre niveau était moindre ? Je sais que dans mon cas, c’est le contraire. Mes débuts étaient accompagnés de découvertes et progression constantes sans même me fixer d’objectifs. Aujourd’hui, je dois mettre grandement ma créativité à profit afin de renouveler et réinventer ma pratique de la discipline et retrouver ce même plaisir.

Lorsqu’un débutant vous demandera comment "devenir comme vous", comment réaliser les mêmes performances que vous, dites-lui de prendre son temps. Et il vaut probablement mieux pour lui qu’entre tous les chemins possibles, il prenne le plus difficile, et profite du détour. Le parkour, contrairement aux apparences et à ce que certains semblent penser, ce n’est pas toujours prendre le chemin le plus direct.

P.S. Je déteste conclure. Fin.
P.P.S. Ci-mer à ceux qui ont contribué récemment à ces réflexions par nos échanges, ils se reconnaitront probablement dans les thématiques abordées :)



[1]. N.Bornaz, "Parkour-parks ou parkour, il faut choisir" http://recherche-action.fr/l1consolable/2013/02/04/parkour-parks-ou-parkour-il-faut-choisir/[↩]
[2]. Le Petit Robert 2002. Cette définition a le mérite d’être assez large, abordant divers aspects. Ce n’est peut-être pas la plus exhaustive, mais pas loin. On peut y ajouter les notions de hiérarchie et d’institutionnalisation, qui sont mentionnées dans l’article de Naïm. A noter que c’est également la définition que l’on nous donne en fac de sciences des sports.[↩]
[3]. http://yanndaout.blogspot.ch/2013/08/etre-fort-pour-etre-utile-et-de-fausses.html[↩]
[4]. Cette vidéo le présente par exemple sous forme de satire : http://www.youtube.com/watch?v=3lFh7Ed7hk0[↩]
[5]. http://www.youtube.com/watch?v=Dimso5mvBEY[↩]
[6]. Au cas où ce n’est pas clair : je considère toujours que le parkour a une définition bipartite, la première partie étant "méthode d’entrainement consistant à franchir des obstacles dans le but de se renforcer physiquement et mentalement", la seconde "moyen de locomotion consistant à se déplacer à travers des obstacles de manière efficiente", ces deux éléments se complétant et n’étant pas séparables pour définir ce qu’est réellement le parkour.[↩]
[7]. Je n’ai pas pris le temps de trouver un meilleur exemple, mais en voici tout de même un : http://www.youtube.com/watch?v=PWo8NSOQnHE. Cela dit, j’ai toujours été frappé de voir le nombre de mouvements sur barre haute démontrés dans des vidéos, qui se font sur une structure dédiée, alors que ces mouvements se font très rares dans des environnements urbains ou naturels.[↩]